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à l'aube d'une Eve nouvelle
15 juin 2015

l'hérétique

 

Le jour suivant, Brenda se rendit au bureau en voiture. Elle ne s’accordait pas souvent ce luxe là, préférant marcher pour ne pas céder aux sirènes de la culpabilité. Voyez-vous, Brenda avait beaucoup de difficultés à ne pas se laisser dicter sa conduite par les autres.

Elle marchait donc ses 40 minutes quotidiennes, espérant qu’ainsi, on ne lui reprocherait pas, entre autres :

-de ne pas entretenir sa silhouette,

-de ne pas prendre soin de son système cardio-vasculaire,

-d’agrandir le trou dans la couche d’ozone,

-d’enrichir les lobbys pétroliers.

Que sais-je encore ?

Certains jours, elle était même tellement sensible à ce que lui disaient les autres, qu’elle se sentait même responsable de la faim dans le monde !

 

 

Mais aujourd’hui, il pleuvait.

D’habitude, cela ne la rebutait pas, elle était parfaitement équipée et organisée pour la pluie. Mais aujourd’hui, en cette fin de printemps, elle était toute chagrinée par cette pluie fine et régulière. Elle ne se sentait pas le courage de ressortir l’imperméable, le chapeau de pluie et les bottines. Non, c’était trop lui demander.

Elle préféra se glisser derrière le volant de sa voiture.

Grosse voiture familiale que ne possèdent que ceux qui ont plusieurs enfants à trimballer…

 

 

Doug, quant-à-lui, préférait son modèle coupé-sport.

Une voiture comme possèdent ceux qui n’ont pas de contraintes logistiques car il n’y avait pas de place pour l’équipement sportif de l’aîné, pas de place pour les instruments de musique de la cadette et définitivement, pas de place pour les enfants tout court.

Souvent, Brenda proposait à Doug de prendre la berline quand elle le voyait passer beaucoup trop de temps à son goût à loger ses affaires dans son micro-coffre de voiture :

« Je vais travailler à pied, tu peux la prendre. Je t’assure, ça ne va pas me manquer… »

Ce à quoi il répondait invariablement :

« Et la consommation de carburant Brenda ? Tu y as pensé à la consommation de carburant ? On voit bien que ce n’est pas toi qui fais les comptes ! »

Bon. Ce que Brenda aurait dû comprendre, c’est :

« Ma pauvre chérie, que veux-tu que je fasse avec un veau pareil ? »

Mais, aveuglée par sa bêtise, elle prenait ce que lui disait son époux pour argent comptant et ne trouvait rien à y redire.

Et puis, elle l’aimait sa voiture. Elle avait réussi le tour de force de garder son espace vital intact de toute trace du passage des enfants. Et puis, elle avait aménagé douillettement son poste de pilotage : une clé USB avec ses chansons préférées, des fruits secs, du chocolat noir, des mouchoirs, des lunettes de soleil de secours, un stick à lèvres, etc… Le tout rangé dans diverses trousses aux motifs fleuris et colorés qu’elle affectionnait tant.

Ce fut donc détendue et bien à l’abri de toute agression extérieure que Brenda fit le trajet ce matin là.

 

 

Bien à l’abri certes, mais elle eut la drôle d’idée de prendre des nouvelles du monde en allumant la radio :

« Sans plus attendre, notre page santé-médecine : une étude surprenante mais néanmoins très sérieuse au CHU de Besançon. Le Professeur Denis ROUILLON affirme que le soutien-gorge est un faux besoin pour la femme. Pour appuyer ses propos, il a depuis 15 ans suivi 130 femmes, 130 poitrines qu’il a, ce sont ses propres propos, « libérées » du soutien-gorge. Et il a constaté, pied-à-coulisse à l’appui, que le mamelon remontait, en moyenne, de 7 mm la première année. »

Elle tourna fermement le bouton de l’autoradio pour clouer le bec à ce journaliste.

S’en suivit un black-out de quelques millièmes de secondes.

« Non mais où va le monde ?

On nage en plein délire !

Tout le monde sait qu’il faut TOU-JOURS porter un soutien-gorge, que la fibre élastique de la poitrine est fragile et qu’il faut la soutenir !!!

C’est bien les hommes ça !

Donner leur avis sur tout et surtout sur ce qu’ils ne connaissent pas !

Non mais, est-ce que je lui dis s’il doit porter des slips ou des caleçons moi à ce Professeur BROUILLON ? »

 

 

Elle était arrivée à destination et se gara sur une place de parking réservée à l’équipe de direction.

Elle qui était si soucieuse du respect des règles ne se rendit même pas compte de son erreur tant elle était aveuglée par sa colère.

D’ailleurs, elle avait l’air si déterminée, que le gardien du parking, si tatillon quant au protocole, ne lui fit aucune remarque au sujet de son ascension sociale fulgurante en matière de stationnement !

A nouveau, de la musique résonnait en elle, elle l’entendait même très clairement.

Aujourd’hui, c’était un hymne guerrier. Elle se vit traverser le hall d’accueil de la mairie suivie de près par Beyonce et les Destiny’s Child au complet :

« I’m a survivor,

I’m not gon give up,

I’m not gon’stop,

I’m gon’work harder!”

 

 

C’est avec cet état d’esprit “treillis-rangers” qu’elle entra, tel un ouragan, dans son bureau, jetant son sac-à-mains à la volée sur le porte-manteau, tentant un panier à 3 points pour que ses clés de voiture atterrissent dans le vide-poche et s’asseyant en se laissant tomber lourdement sur sa chaise en poussant un énorme soupir.

« Et bien ma petite Brenda, vous avez mangé du lion ce matin ?

-Et vous, vous avez avalé un clown au petit-déjeuner ? Vous vous trouvez spirituel peut-être ? »

Beyonce et ses copines reprirent de plus belle dans les oreilles de Brenda :

« I’m a survivor,

I’m gonna make it,

I will survive,

Keep on survivin’!”

Monsieur SCHWARTZ, tout d’abord figé dans une posture de stupéfaction, se ressaisit rapidement et présenta, en terme de langage corporel, tous les signaux indiquant à Brenda qu’il a-do-rait les femmes de tempérament.

 

 

Et zut ! Brenda travaillait pour un vieux pervers…

Heureusement pour elle, elle ne connaissait pas encore les codes du langage corporel.

Elle resterait donc, pour un temps encore, dans la naïve ignorance de la personnalité de son boss.

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